La filière laitière en Tunisie traverse une période difficile. La production du lait a significativement diminué, plaçant les éleveurs dans une situation financière délicate. La crise est multifactorielle. Les coûts de production ont grimpé en raison de l’augmentation des prix des intrants, particulièrement les fourrages. Cela a créé une pression financière sur les éleveurs qui luttent déjà pour maintenir leur rentabilité. L’impact est significatif.
La filière laitière représente actuellement 3 % du PIB agricole tunisien, et la réduction de la production a déjà entraîné une perte estimée à 50 millions de dinars tunisiens pour l’économie, explique Karim Amous, expert-comptable.
Dans ce contexte, les producteurs subissent des pertes importantes, estimées à environ 700 millimes par litre de lait produit. Du côté des collecteurs et des industriels, les marges bénéficiaires ont diminué d’environ 30 %. Pour restaurer l’équilibre financier des producteurs, une révision des politiques de prix est indispensable. Une augmentation d’au moins 500 millimes par litre de lait est nécessaire. Parallèlement, des efforts devraient être faits pour faciliter l’importation de fourrages à des prix compétitifs, a révélé Anous.
Selon Amous, des pays comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont adopté des politiques de soutien financier ciblées aux producteurs, combinées à des initiatives d’importation stratégiques, ce qui a contribué à stabiliser leurs filières laitières.
Actuellement, le stock stratégique de lait a diminué de façon significative. Le gouvernement devrait jouer un rôle plus proactif, en mettant en place des mesures immédiates. Il est crucial d’envisager des réformes à court terme, comme des subventions directes aux producteurs pour couvrir les coûts de production. À long terme, des investissements dans la recherche et le développement, ainsi que des réformes structurelles, sont nécessaires pour assurer la durabilité du secteur.
Défis structurels
En effet, la coordination entre les ministères représente un défi majeur. Le coût de production dépassant le prix de vente de 15 % en 2023 indique la nécessité de réformes structurelles. L’expert a ajouté que des réformes telles que la mise en place d’un comité interministériel dédié à la filière laitière et des incitations financières à l’adoption de pratiques agricoles durables sont nécessaires pour surmonter ces défis structurels. L’adoption de technologies innovantes, comme l’automatisation de certaines tâches agricoles, peut réduire les coûts de production d’environ 10 %, selon des exemples observés dans d’autres pays. Cela pourrait être une stratégie gagnante pour renforcer la compétitivité de la filière. Egalement, une modernisation de la filière pourrait générer une croissance annuelle de 5 % d’ici 2025.
L’expert précise que la crise actuelle offre une opportunité unique de repenser notre approche de la filière laitière. « En investissant dans des pratiques agricoles durables, telles que l’agroécologie, nous pourrions non seulement améliorer la rentabilité des producteurs, mais également contribuer à la préservation de l’environnement».
Ajuster les habitudes d’achat des consommateurs
Les consommateurs ont un rôle crucial à jouer dans la gestion de cette crise. Il est essentiel d’éviter des achats excessifs et de stocker d’importantes quantités de produits laitiers à domicile, car ils sont périssables. Cette pratique non seulement conduit à des pertes financières pour les consommateurs, mais elle contribue également à des problèmes plus vastes tels que des files d’attente interminables et des frustrations parmi ceux qui ne peuvent pas être servis. La production laitière est continue, et il est crucial que les consommateurs ajustent leurs habitudes d’achat en conséquence. Privilégier les produits laitiers locaux soutient directement nos producteurs nationaux.
L’expert précise qu’en prenant l’exemple de l’agroécologie, en introduisant des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement telles que la rotation des cultures et l’utilisation de fertilisants organiques, les producteurs pourraient non seulement améliorer la qualité du sol, mais aussi réduire leurs coûts tout en augmentant le rendement. « Je reste optimiste quant à l’avenir de notre filière laitière. En investissant dans l’innovation, la durabilité et en renforçant la coordination entre les acteurs du secteur, nous pourrions créer une filière plus résiliente et prospère pour les années à venir».
Les crises offrent souvent une opportunité de repenser nos systèmes. En investissant dans des pratiques durables, nous pourrions non seulement surmonter la crise actuelle mais également créer une filière laitière plus robuste et alignée sur les besoins futurs. «Nous devrions travailler à diversifier les sources d’alimentation du bétail, favorisant une agriculture plus résiliente face aux changements climatiques.
En parallèle, investir dans des programmes de recherche et développement axés sur des pratiques agricoles innovantes pourrait optimiser le rendement des exploitations», précise Amous. Et d’ajouter : «J’invite tous les acteurs de la filière, du gouvernement aux entreprises et aux citoyens, à unir leurs forces. La crise du lait est un défi, mais c’est aussi une opportunité de repenser et de revitaliser notre secteur laitier. Chacun peut contribuer à bâtir un avenir plus robuste et durable».